René Char

Aujourd'hui, j'ai envie de vous parler d'un poète surréaliste puis résistant, ayant traversé le vingtième siècle avec la ferme conviction que la poésie pouvait sauver nos âmes d'êtres humains.

Né dans le Vaucluse le 14 juin 1907, il fut notamment l'ami de G. Braque, P. Picasso, et A.Camus.

Catherine Camus, la fille d'Albert Camus, parlera plus tard de leur amitié "fraternelle" et de leurs points communs en évoquant leur "amour de la liberté" et leur perpétuelle "révolte" innée.

J'ai découvert René Char parce que j'aimais lire Albert Camus... je me souviens donc surtout de leur amitié, mais aussi de son sublime poème d'amour, Lettera Amorosa. Ce long chant lyrique en vers libres décrit deux amants que le temps a séparés.

Lettera Amorosa (publié en 1952)

"Je n’ai plus de fièvre ce matin. Ma tête est de nouveau claire et vacante, posée comme un rocher sur un verger à ton image. Le vent qui soufflait du Nord hier fait tressaillir par endroits le flanc meurtri des arbres.

Je sens que ce pays te doit une émotivité moins défiante et des yeux autres que ceux à travers lesquels il considérait toutes choses auparavant. Tu es partie mais tu demeures dans l’inflexion des circonstances, puisque lui et moi avons mal. Pour te rassurer dans ma pensée, j’ai rompu avec les visiteurs éventuels, avec les besognes et la contradiction. Je me repose comme tu assures que je dois le faire. Je vais souvent à la montagne dormir. C’est alors qu’avec l’aide d’une nature à présent favo­rable, je m’évade des échardes enfoncées dans ma chair, vieux accidents, âpres tournois.

Pourras-tu accepter contre toi un homme si hale­tant?

Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.

« Scrute tes paupières », me disait ma mère, penchée sur mon avant-sommeil d’écolier. J’apercevais flottant un petit caillou, tantôt paresseux, tantôt strident, un galet pour verdir dans l’herbe. Je pleurais. Je l’eusse voulu dans mon âme, et seulement là.

Chant d’Insomnie : « Amour hélant, l’Amoureuse viendra, Gloria de l’été, ô fruits! La flèche du soleil traversera ses lèvres, Le trèfle nu sur sa chair bouclera, Miniature semblable à l’iris, l’orchidée, Cadeau le plus ancien des prairies au plaisir Que la cascade instille, que la bouche délivre. »

Je voudrais me glisser dans une forêt où les plantes se refermeraient et s’éteindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire, mais elle reste à semer. C’est un chagrin d’avoir, dans sa courte vie, passé à côté du feu avec des mains de pêcheur d’éponges."

Le petit +

Ce poème a été illustré par G. Braque !