De la vie, de la mort

Et dans 150 ans...

"Je me souviens du moment exact où cette cruelle vérité m’a sauté aux yeux…j’avais six ans, mes parents venaient de perdre un ami qui luttait contre le cancer depuis longtemps. Alors que je les entendais en discuter, mon père m’expliqua que ma mère irait aux obsèques dans les prochains jours. Comme il voyait que je ne répondais pas, je l’ai entendu me dire de ne pas être triste : « tout le monde meurt un jour ».

Cette phrase m’a finalement davantage perturbé que le décès de l’ami de mes parents. Parce que je venais de comprendre que mes propres parents mourraient un jour eux aussi. J’étais effondré et surtout sidéré de ne pas y avoir pensé plus tôt. Je me souviens d’avoir passé une bonne heure dans ma chambre à essayer d’intégrer que je devrais un jour vivre sans mes parents ; que finalement, eux non plus un jour n’existeraient plus !

 

Je me souviens d’avoir ensuite pensé à mon frère, et puis, d’un seul coup, le reste m’est apparu en pleine figure : MOI AUSSI !! Moi aussi, un jour, j’allais mourir et ma vie aurait une fin ! Je ne comprenais pas comment j’avais pu ne pas m’en rendre compte plus tôt. Je n’ai jamais oublié quel a été mon premier réflexe après ce « grave » constat : je me suis fait la remarque que six ans de ma vie étaient déjà passés et non récupérables, et qu’il me restait à vivre….ma vie, moins six années !

 

 Je me rappelle être resté assis sur mon lit pendant de longues minutes, consterné, ne parvenant pas à accepter que ces six années étaient perdues car déjà vécues, déjà derrière moi.

 

Or ce qui peut nous paraître banal à tous à l’âge adulte me semblait tellement incroyable que j’en avais le vertige : le sentiment de ce temps écoulé que l’on n’arrive plus à appréhender…

 

Depuis ce jour je passe mon temps, mon reste, à essayer de vivre au maximum ces années, ces semaines, ces journées qui passent ; ces minutes qui seront, d’une seconde à l’autre, irrécupérables…

 

 Le carpe diem bien connu de tous paraît certes illusoire et démodé de nos jours, mais il implique tellement plus qu’une vie au jour le jour…au-delà de l’importance de saisir l’instant présent, ce qui est de toute façon devenu bien compliqué dans nos vies d’hommes modernes, comment ne pas être conscient de l’absolue nécessité voire du devoir que nous avons de vivre, de vivre à deux cents pour cent, chaque minute, chaque événement,… qu’il soit heureux ou malheureux, agréable ou difficile…être là, tout simplement, être heureux, être malheureux, exister en vivant sa vie entièrement avec tous les sentiments, toutes les émotions qu’elle procure. Car que retire-t-on d’une existence où l’on ne serait ni heureux ni malheureux ? D’une vie faite de justes milieux, de non choix, une vie sans vagues où l’on aurait franchi chaque étape brillamment mais sans savoir si l’on est vraiment heureux ? Sans savoir ce que peut représenter le fait de ressentir le bonheur, de vivre le malheur ?

 

La vie est certes moins fatigante, moins éprouvante et moins dangereuse lorsqu’elle est raisonnable et mesurée, lorsque l’on évite de se confronter à des décisions et à ses propres sentiments ou à ceux des autres. Mais elle est aussi tellement moins intense, tellement plus terne…

 

Le danger est bien évidemment de ne jamais se trouver. De toujours éprouver, mais de ne pas mettre la main sur les réponses que l’on cherche puisque l’on en oublie les questions : la vie en soi devient une énigme et il s’agit d’éviter de se perdre soi-même avant d’arriver au bout du chemin. Avant que les années que l’on sent derrière soi deviennent plus nombreuses que celles qui se profilent.

 

Je veux dire par là que le sentiment, l’émotion, la sensation, ne doivent pas devenir une fin en soi : je n’ai jamais eu envie de quelque chose en particulier, d’un métier en particulier, d’une maison en particulier, d’une vie en particulier… je n’ai jamais décidé ce que je voulais « faire de ma vie ». Non pas parce que je ne savais pas ce que je voulais faire. Mais parce que j’étais intéressé par tellement de choses que je n’avais pas vraiment envie d’avoir « un plan », de tracer ma vie et d’avoir un seul objectif pour chaque chose importante de la vie. J’ai pourtant passé ma vie à prendre des décisions, à prendre MES décisions : je ne sais pas ne pas décider. Mais j’ai toujours refusé de programmer. Parce que je n’en ai pas envie. Il est tellement important à mon sens d’avoir des valeurs, des idées, une certaine conception de la vie et de ce que l’on veut être, que j’ai passé mon temps à faire des choix pour que mon existence s’adapte à ces valeurs, à ces idées, à cette conception de la vie…pour être moi tout simplement à chaque étape et pouvoir me retourner en fin de parcours en regardant non pas ce que j’avais fait de ma vie mais ce que j’avais été pendant cette vie.

 

 

Nous essayons tous de construire pour être fiers de ce que l’on a fait, mais n’est il pas tout aussi important de vieillir en sachant ce que l’on est et en parvenant enfin à être fier de ce que l’on a été, même si cette fierté doit être une construction de chaque instant, bien difficile à appréhender ?"

 

La suite du chapitre demain !